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CULTURES ET MYTHES ALIMENTAIRES :
 La valeur santé des aliments à travers les âges.


Congrès de l'association  AUTREMENT, Paris, Novembre 2001

Jean-Michel HUET,  Psychanalyste (Paris)

    Il peut paraître paradoxal voire aberrant qu’il revienne à un « pur » psychanalyste, non médecin, de discourir sur les mythes alimentaires. Ces mythes alimentaires traversent et ont traversé notre société, pour  ne parler que d’elle, et ils continueront à le faire dans un futur où aucune prétention de rationalisation à venir ne pourra éliminer l’irrationnel.

En effet, c’est à travers les vicissitudes des représentations que je qualifierai comme venues droit de l’Inconscient que s’exprime le mythe des aliments dits « sains ».  Pour qui est à l’écoute du discours commun sur les aliments, l’aliment « sain »  paraît sans cesse échapper. Aliment « sain » hier, à proscrire dans l’alimentation du jour. Il s’agit souvent de brûler ce qui a été adoré la veille ou l’avant-veille.

Quand D. RIGAUD m’a proposé d’intervenir à ce sujet,  sa proposition m’a semblé difficile à refuser mais les problèmes ont commencé dès la première ligne posée sur le papier : je ne savais pas comment écrire « sain », hésitant entre les différentes homophonies . S’agissait-il de « sain » (adjectif de santé), de « saint » (issu de sainteté) ou de « sein » substantif mammifère ? La question m’a paru de taille. D’autant que,  plus je cherchais, plus j’hésitais à adopter une interprétation :
En latin
Sanus (sain)
Sanctus (saint mais aussi pur)
Sinus (sein)

Le salut ou du moins l’échappatoire m’est venu à prendre la question par l’autre bout.  Si personne, ou du moins si personne ne sait, durablement,  ce que sont des aliments sains, tout le monde semble savoir ce que sont les aliments à éviter. Les régimes pour une alimentation saine foisonnent, sans qu’un profane tel que moi puisse se déterminer rationnellement pour l’un ou pour l’autre. Par contre, il n’est pas d’année, voire de mois ou de semaine sans que soit stigmatisée, voire dénoncée, de nouvelle menace sur notre alimentation.
L’actualité regorge de :
 vache folle, d’Organisme Génétiquement Modifié, de poulets à la Dioxine,

  pour les plus récents. Nous citerons  pêle-mêle pour mémoire, sans souci de chronologie :
le bœuf aux hormones
les colorants
les phosphates
les féculents
le Cholestérol
les « produits chimiques » des bonbons de notre enfance, comme si la chimie ne constituait pas la base de la matière.

Ce que l’on peut retenir de cette énumération c’est que « nous mangeons de la merde », selon l’expression plus que médiatisée du journaliste-restaurateur JP COFFE, ceci quoi que l’on mange. Le danger nous guette du fonds de notre assiette, tapi, prêt à nous dévorer de l’intérieur, vers solitaire mutant. D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre que certains aliments peuvent donner un cancer, maladie mais aussi crabe qui vous dévorera de l’intérieur.
L’ennemi intérieur est partout, alors que le « bon aliment » n’est surtout pas ici. La représentation  fantasmatique  groupale de notre société, et probablement de toute société, le  situe ailleurs par définition.  Nous ne comptons plus les discours, aussi variés voient-ils   qui renvoient à cet ailleurs qu’il soit dans le passé (les produits du terroir), autre part sur terre, ou même dans un autre monde spirituel, hors des pulsions exacerbées par les épices, l’alcool, les excitants ou autres représentations du Mal.

A examiner la liste citée précédemment des aliments qui nous menacent, il nous faut constater que diverses angoisses non directement associées à l’équilibre nutritionnel, à proprement parler, les habitent :

•    Avec la vache folle, la question d’une contamination de la folie se pose. Si l’on mange de la vache folle, en devient-on fou pour autant ? Ce qui revient à s’inquiéter sur nos propres dispositions à la folie.

•    Les OGM posent une interrogation concernant la mutation génétique. En mangeant du mutant allons nous devenir mutants à notre tour ? Ici est posée l’angoisse de dépersonnalisation et les résistances au changement et au vieillissement.

•    Les hormones encore contenues dans le bœuf américain renvoient aux inquiétudes de l’identité sexuelle. A trop en manger, ne risque-t-on pas de se retrouver transsexuel involontaire ? La question de l’homosexualité est ainsi abordée par la bande.

L’énumération  de toutes les angoisses associées à l’alimentation contemporaine serait fastidieuse et sortirait du cadre de notre exposé.  Il paraîtrait plus fructueux de poursuivre en reprenant la piste de l’aliment sain, maintenant qu’elle est mieux délimitée par les bornes de la « malbouffe ».

Cette insistance sur le « bon » aliment que l’on ne trouve pas ici doit nous inciter à un certain nombre de réflexions. Tout d’abord, cette qualité de se situer dans un ailleurs n’est pas innocente. D’ailleurs, il est à constater que nous ne pouvons jamais, ou du moins jusqu’à ce jour dans l’histoire de l’humanité, trouver durablement  l’aliment ou le régime parfait ou seulement « bien sous tous rapports ». A peine embrassé, il nous échappe ou est disqualifié.

Il nous faut noter que les aliments sains sont toujours à venir ou bien inaccessibles. Le monde antique rêvait sur l’ambroisie servie aux dieux par Ganymède. Les enfants du siècle précédent sur les fameuses pilules nutritives qui nous nourriraient sans effort en l’an 2000. Tout comme maintenant certains projettent les espoirs sur les fameux « alicaments » qui nous guériront sans aucun doute  de nos turpitudes alimentaires.

A cet égard, nous pouvons nous inspirer de ce que nous racontent nos patientes anorexiques, grandes sectatrices de l’aliment-santé, s’il en est. En effet, celles-ci savent souvent bien mieux que nous, ou du moins que moi, ce qu’il leur faut manger pour être en bonne santé. Ceci mène cependant au paradoxe qu’avec une telle information mais surtout une telle préoccupation de leur hygiène alimentaire, elles en viennent à des tableaux qui sont loin de respirer la santé. Le fait d’écarter de son alimentation toute viande ou presque, d’éviter comme la peste toute graisse, de bannir les sucres, alcools et excitants s’approche d’une alimentation sans risque, à considérer les angoisses que j’ai énumérées voici quelques instants. De plus, si l’on considère que les aliments préférés des patients anorexiques sont constitués de légumes cuits à l’eau, de laitages non fermentés, il ne paraît pas trop hasardeux  de penser que ce genre de régime constitue le paradigme du régime considéré comme sain.

En effet, l’histoire de l’humanité déborde d’exemples de ceux qui ont voulu suivre un régime sain voire saint. Que l’on pense à la secte hindouiste des Jains qui ne peuvent risquer d’absorber un organisme vivant, à sainte Véronique qui ne déjeunait que « d’un peu herbes amères » les jours ordinaires et de sept pépins d’oranges en souvenir des sept plaies du Christ les jours de fête (religieuse évidemment), ou bien de certains hippies des dernières décennies qui prônaient un végétarisme militant issue de l’agriculture « biologique ».

Il n’en reste pour l’instant qu’une énumération de tentatives qui nous semble avoir tourné court par excès de naïveté, voire d’ignorance. Cependant, bien audacieux qui voudra penser que nos propres tentatives d’approche de l’aliment sain ne subiront pas le même sort.

  Il me semble maintenant évident, et j’espère que vous partagerez mon point de vue, que cette quête de l’aliment sain pourrait paraître un peu trop bien intentionnée pour être honnête. D’autres fantasmes que celui d’une recherche bien intentionné d’un paradis alimentaire semblent en cause. Si l’on considère cette caractéristique essentielle de l’aliment sain  d’échapper sans cesse à toutes nos poursuite, force est de constater que son absence est bien plus déterminante que son éventuelle existence.

Ceci ne va pas sans évoquer d’autre paradis recherchés ou perdus. Il ne s’agit probablement pas des paradis que l’on qualifie à tort d’artificiels dans la mesure où le paradis « naturel » reste à découvrir, cette quête des paradis artificiels étant peut-être un avatar de celle de l’alimentation saine, mais sur un mode nettement plus autodestructeur.

Le fantasme de l’aliment sain, par un jeu de mot que certains d’entre vous pourront considérer comme osé, peut, à mon sens être compris comme un fantasme de l’aliment sein, dont il partage par ailleurs un nombre troublant de caractéristiques. Ceci aurait en outre, pour moi, l’avantage de résoudre le problème orthographique et sémantique qui s’était posé à moi lors de l’élaboration de cet exposé.

Pour revenir de manière plus sérieuse à mon sujet, l’aliment santé se situe au centre même du fantasme de tout un chacun en ce qui concerne le lait maternel dont il partage les caractéristiques toutes fantasmatiques d’excellence. Dans la représentation commune quel meilleur aliment que le lait maternel pris au sein ? Il est paré de toutes les vertus qu’elles soient nutritives, immunologiques et même psychologiques.  Comme lui, il a la caractéristique d’être considéré comme sain mais surtout de nous échapper constamment.

En effet, ne sommes nous pas, depuis notre enfance, voire même depuis toute éternité à la poursuite du « bon sein » maternel ? Le nourrisson, ou du moins ce que nous pouvons en observer et en reconstruire ne rêve que de tétée, qu’elle soit réelle ou sous forme d’attention. Plus tard, après le sevrage, l’enfant continue probablement fort tard à regretter cette période jugée comme idyllique où il avait toute sa mère pour lui, mère qui le nourrissait à volonté. Cet aliment sain que nous recherchons toujours avec tant d’enthousiasme depuis des siécles n’est-il pas en réalité l’aliment sein qui nous avait tant interrogé ?

On peut même pousser le bouchon un peu plus loin il en devient même un aliment saint, un peu à la façon dont le respect nous saisit devant une mère nourrissant son nouveau-né.

Enfin, au risque de décevoir, je dois vous communiquer ma conviction profonde qu’il n’existe probablement pas d’aliment sain (du moins pas durablement), à part celui qui a été irrémédiablement perdu  dans les limbes de notre passé et de nos fantasmes de bien-être infantile. Cet aliment sein nous passons notre vie et parfois notre carrière à le chercher, sans jamais le trouver. Peut-être cela vaut-il mieux car si nous le trouvions comment pourrions-nous continuer à penser, à découvrir, et à évoluer, bref à grandir.