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Le Binge Eating à travers les âges

Colloque de l'association AUTREMENT, Dijon, Octobre 2009

 

                Les comportements de binge eating ne sont aucunement un travers de notre monde moderne on pourrait même dire qu’ils sont aussi vieux que l’humanité. En effet, si la « découverte » du binge eating en tant que trouble du comportement alimentaire remonte à la seconde moitié du 20ème siècle, ce comportement remonte aux racines même de l’humanité.

                Les préhistoriens ont émis l’hypothèse que l’alimentation de l’homo sapiens sapiens, c’est-à-dire les humains ayant vécus de -500 000 ans avant JC jusqu’à l’invention de l’écriture, rigoureusement semblables à nos contemporains, connaissait des aléas qui ont obligé ceux-ci à manger le plus possible lorsque la nourriture était disponible de manière à constituer des réserves caloriques pour les temps de disette. Car il faut bien se souvenir qu’avant l’invention de l’agriculture, environ 8500 avant JC pour les population habitant la région du croissant fertile (Mésopotamie, Assyrie…) mais pas avant -3000 pour les populations du pourtour du bassin méditerranéen et jamais de manière indigène pour les populations de la Californie, du Sud Ouest de l’Australie et de l’Afrique australe, l’être humain en était réduit à se nourrir de ce qu’il pouvait trouver et chasser sans aucune garantie d’approvisionnement. De plus, associée à la maitrise du feu déjà maitrisée vers – 400 000 ans avant JC, l’invention de l’agriculture a permis une meilleure gestion associée à la meilleure conservation des aliments.

                Plus tardivement, les anthropologues ont décrit chez les peuples indigènes du Nord Ouest du continent américain des comportements assimilables au binge eating dans la tradition dite potlatch. Il s’agissait pour ces tribus d’obtenir le plus grand prestige possible par des échanges de réceptions impressionnantes et de cadeaux magnifiques entre tribus rivales, quitte à se ruiner pour acquérir la suprématie dans la munificence. Lors de ces réceptions, la chère était consommée en quantité immense par les hôtes et leurs invités, même s’il fallait pour cela que la puissance invitante dut jeuner ou vivre sur des rations réduites entre deux potlatchs.

                De même, les célèbres orgies romaines, si bien décrites par le banquet donné par le parvenu Trimalchion dans le Satiricon de Pétrone (1er siècle après JC) nous donnent l’exemple d’un comportement hyperphagique où les convives s’empiffrent de mets extravagants, se font vomir,  pour ensuite mieux consommer encore. Si cette folle consommation restait sans doute l’apanage d’une classe sociale enrichie par le butin de l’empire, il n’en reste pas moins qu’elle correspondait une habitude de la société romaine toute entière, toutes classes confondues où les jours de fêtes religieuses donnaient lieu à une distribution à la plèbe des produits des sacrifices, les dieux dans la religion romaines se satisfaisant des fumées et de l’odeur des bêtes sacrifiées.

                Jusqu’à l’avènement de l’ère industrielle les comportements de type binge eating se sont caractérisés par leur dimension sociale, le gavage se faisait de manière collective, prise dans un contexte social reconnu, sans honte, avec en arrière-plan le spectre de la famine et de la restriction toujours présent. La disparition progressive des famines en Occident associée à la construction d’une identité plus centrée sur la dimension personnelle que sur la dimension sociale amené ces comportements à passer dans la sphère privé et à être considérée comme négatifs sur le double plan de la santé, mentale et physique, et de la morale.

                L’apparition du terme  bulimia (appétit de bœuf) au 18ème siècle et la description par Ch. Lasègue en 1873 du faux appétit soulignent le passage de l’acceptabilité sociale vers la dimension pathologique.  Durant près de 100 ans, le passage des comportements de binge eating dans la sphère du privé n’a laissé que peu de traces dans la littérature médicale, avec juste quelques mentions dans de rares observations psychanalytiques ou psychiatriques.

                Ce n’est que dans les années 60-70 que la boulimie a commencé à faire sa réapparition au grand jour, associée dans un premier temps aux comportements hyperphagiques de l’obésité. A ce moment, les comportements de binge eating restent confidentiels pour le grand public au point que certaines patientes s’imaginent être les seules au monde à souffrir de cette étrange affection.

                De nos jours, la diffusion de l’information dans les médias a popularisé le terme de boulimie pour tout un chacun, ce qui a pu permettre à d’innombrables personnes de consulter pour ce trouble. Cependant, le binge eating semble à nouveau sortir du secret de la maladie pour revenir dans la sphère sociale. En effet, les orgies de nourriture ont fait leur réapparition de manière organisée et socialisée sur le continent américain. Aux abus de boisson et de nourriture de certaines confréries étudiantes se sont ajoutés les free-food packages de certains abonnements sportifs. Des stades de plus en plus nombreux proposent maintenant inclus dans l’abonnement annuel une option all you can eat, pour encourager la fréquentation sportive, ce qui n’a pas manqué dans un pays où 30% de la population a un IMC supérieur à 30, de soulever des torrents de protestation de la part des professionnels de la santé.

                L’évolution de la forme des troubles alimentaires est donc en perpétuel changement, avec l’apparition de nouveaux comportements qu’il convient de prendre en compte pour mieux les traiter que ce soit au niveau individuel ou social. La connaissance des formes passées et de l’histoire de celles-ci ne peut que nous aider à anticiper les défis à venir.